Il y avait peu de chances que « Tout se calme sur l’esplanade de l’Est » puisse un jour exister. The Libertines, le groupe le plus incendiaire et autodestructeur de leur génération, s'est effondré lors de la réalisation du deuxième album éponyme de 2004 et a passé la décennie suivante à naviguer dans les eaux les plus turbulentes infestées de tabloïds.
Ils se sont réunis de nouveau pour « Anthems for Doomed Youth », étrangement détachés, en 2015 et ont effectué des tournées sporadiques au cours des neuf dernières années. Mais la perspective qu’ils s’alignent un jour pour un album qui capture quelque chose de leur essence fulgurante du début des années 2000 semblait lointaine et de plus en plus mince.
Réjouissez-vous donc que «… l'Esplanade de l'Est» réussisse. Dès le début, l'ouverture de « Run Run Run » fait chanter Carl Barât : «C'est le projet d'une vie sur les cils», ravivant l’énergie lâche et délabrée de leur apogée. Immédiatement, le groupe est en mode introspectif, invoquant «blaffeurs à temps partiel » OMS « connaissent les rues de Camden comme leur poche». Dans « Mustang », Pete Doherty écrit de manière évocatrice à propos de Traci, fière de son survêtement Juicy Couture, qui aime «boire un verre quand les enfants sont à l'école » et « conduit des Mustangs vers ses rêves».
Leur romantisme mélancolique pour le passé prend une importance encore plus grande à mesure qu’ils atteignent la quarantaine. Alors que leurs jours d'héroïne sont provisoirement confinés au passé, leur port d'attache d'Albion Rooms, sur le front de mer de Margate, est désormais devenu le phare de cette nouvelle ère professionnalisée de la vie du groupe.
On les voit s'intéresser plus que jamais aux questions politiques contemporaines, avec « Have a Friend » offrant un rameau d'olivier sincère à ceux qui souffrent à cause de l'invasion russe de l'Ukraine (« Suivez les traces dans la boue jusqu'à là où la mer est noire de sang»).
Les jeunes libertins auraient pu aborder ces sujets avec un flair tout à fait plus vif et plus colérique, comme dans « Time For Heroes », inspiré des émeutes du 1er mai 2001, mais le ton plus ancien et plus réfléchi de « Merry Old England », par exemple, avec son cordes mi-rythmées et soupirantes, est une lettre de bienvenue aux migrants qui montre une maturité retrouvée qu'ils réussissent sans problème.
« Oh Shit » rappelle la prolifération de groupes identitaires qui ont suivi dans le sillage original des Libertines des années 2000, un dancefloor indépendant percutant et accrocheur – bien que finalement rudimentaire. Plus intéressant est « Baron's Claw », avec son ambiance de club de jazz enfumé et nocturne, à quelques pas d'une chanson de Tom Waits. « Man With the Melody », quant à lui, donne aux quatre Libertines, dont le bassiste John Hassall et le batteur Gary Powell, une chance de prendre le chant principal. L'un des vers d'oreille les plus efficaces de l'album, c'est un morceau magnifiquement baissé, mélancolique, dirigé par un piano, qui fait un usage sobre de cordes larges, sans recourir à la sentimentalité.
Il y a ensuite l'élégante « Nuit du chasseur », un conte qui se déroule au lendemain d'un acte de vengeance violente. Le morceau regorge de panneaux culturels, faisant référence au film homonyme de 1955 et à ses tatouages emblématiques sur les articulations « LOVE/HATE », que Doherty met à jour pour lire « ACAB », tout en faisant des clins d’œil musicaux à tout le monde, de Blur à Tchaïkovski.
Sur '…Eastern Esplanade', l'impression d'écouter un groupe au bord du désastre a disparu, remplacée par une version plus stable et nécessairement plus sûre de The Libertines. Les résultats sont peut-être inégaux, mais ce n’est pas, et ne pourrait pas être, un album qui atteint le même effet enivrant que « Up the Bracket ». Ce qu’ils ont fait, cependant, c’est retrouver leur voix et, pour la première fois depuis plus de 20 ans, The Libertines se sentent comme un groupe avec un avenir viable.
Détails
- Date de sortie: 5 avril 2024
- Maison de disque: EMI